20110516

1. WELCOME IN DELHI





6 JANVIER 2010, PREMIERES HEURES
Les chauffeurs de taxi font souvent semblant de parler anglais, disent toujours "yes, yes" même s'ils n'ont aucune idée de l'endroit où ils vont. Ils roulent aussi très vite, à gauche et sur un nombre indéterminé de files, parfois à contre-sens.

Entre l'aéroport et l'hôtel, une heure d'errance ponctuée de pauses à des stations rickshaws pour demander notre chemin, dont un arrêt où il fallut se jeter hors du vieux tacot, le chauffeur étant descendu sans mettre le frein à main.

Le taxi finit par arriver au Tibet Camp. Les maisons s'y amoncellent autour de ruelles dont l'étroitesse empêche toute circulation, d'où un silence bienveillant.

A 5 heures du matin, dans un épais brouillard, le camp se donne des airs inaccessibles. Bordé par un mur, il faut trouver la porte ouverte, un portail jaune devant lequel deux jeunes indiens perpétuent une tradition d'hiver : se frotter les mains au-dessus d'un feu de détritus à la fumée âcre. L'un d'eux se lève pour nous montrer le chemin. Il y a 100 mètres jusqu'à la Potala Guest House mais son aide nous est utile : personne d'autre dans les rues sombres, pas d'adresse ni de noms aux rues.
Comme il nous mène vers un coin sans éclairage en se retournant souvent pour voir si on le suit, un jeune à bonnet arrive derrière nous et mon cerveau bercé par les avertissements du fameux guide se met en mode paranoïa.
Mais Guillaume parle au jeune à bonnet, il est perdu lui aussi et le Tibet Camp s'avèrera préservé des "thugs, cheaters and thieves" promis par notre contact indien, un magicien de Calcutta que nous ne verrons jamais.
Dans la nuit glacée, avec une maigre couverture et sans eau chaude, nous sommes plutôt contents de nous pelotonner sur un matelas dur comme du bois (ah! c'est du bois!) après la nuit blanche du voyage.





NEW TIBET CAMP
Nous sommes au Tibet : sur une petite place, deux temples rougeoient côte à côte, des marchandes de chapati jouent au badminton tandis qu'une petite fille compte les points sur ses doigts. Trois chiens galeux se grattent et s'étirent, nullement dérangés par des bébés balbutiant leurs premiers pas. Assis sur les bancs de bois qui s'enroulent autour de la place, quelques adultes boivent un chaï en égrenant le chapelet bouddhiste.

Tous les habitants de New Tibet Camp doivent traverser la place pour vaquer à leurs occupations et nous aussi regardons passer les habitants à tête de montagnards. Des taches de couleur illuminent brièvement, le pourpre de l'habit des moines, le jaune et blanc de bonnets en laine qui disent "Free Tibet".
Dans les ruelles, des échoppes d'où s'échappe un martèlement cristallin : on y enlumine l'argent sur des tasses et des coupelles finement travaillées. On peut aussi trouver sur les stands des cubes de beurre rance de yak, enfilés comme des perles en guirlande, du boeuf séché ou des thermos pour le thé.

La face publique du camp donne sur Outer Ring Road, une 4 voies excentrée au nord de Delhi. Un long mur entrecoupé de portails rappelle que c'est à l'origine un camp de réfugiés, aujourd'hui installés dans des maisons en dur.
L'arrière du camp débouche sur de petits potagers irrigués par des canaux, où quelques cabanes en bois et bambous donnent la troublante illusion d'avoir changé de lieu comme par mégarde.
Le brouillard est aussi épais que la nuit dernière, ce n'est donc ni poussière ni pollution mais bien une brume d'hiver si dense qu'on n'y voit guère au-delà de 30 mètres.


Nimbées de ce flou les silhouettes sont irréelles. Des enfants jouent au cricket, le sport préféré du pays qui dédaigne le hockey, pourtant sport national. Des femmes binent et bêchent, quelques chiens s'amusent entre les pattes des vaches. Deux mangoustes dodues se dissimulent à notre passage. Au-delà des lopins soigneusement cultivés, rien. Des masses mouvantes de nuages comme brutalement tombés. La fin du monde. En s'approchant, nous constatons que de l'eau coule, c'est un fleuve puant qui glisse doucement, portant des canards, des lys d'eau et des immondices.

En débouchant sur Outer Ring Road, c'est en rickshaw qu'on voyage vers le centre ville : un scooter où une cahute arrimée peut recevoir jusqu'à 5 passagers bien tassés.





Direction Chandni Chowk, nom générique pour une succession étourdissante de bazars, montres, téléphones, plastiques chinois qui se succèdent et se ressemblent.
Circuler à pied nécessite de rester concentré. Au sol ; les trous, bosses, piles de cailloux, flaques putrides. Devant ; rickshaws, vélos, motos qui se jettent vers nous à grands coups de klaxons. Derrière, même traitement. En haut? En haut ça va :


Nous sommes trop étourdis pour vraiment chercher ce qui pourrait nous intéresser et la succession de stands sur des passillons trop étroits devient vite monotone. Il n'y a  pourtant pas beaucoup de chalands mais nous n'intéressons aucun vendeur. Sous de calmes apparences, une intense activité cliquette discrètement, passage permanent d'immenses ballots, des mains entassent des boîtes dans d'autres cartons plus grands, on trie on compte on accumule, tout arrive et repart. Chaque boutique d'un mètre carré est peut-être l'antichambre de tonnes de marchandises circulant à travers le monde.

En face du Chandni Chowk, le massif Red Fort écrase de son immobilité brique l'éperdue activité humaine. C'est un symbole de l'indépendance et blablabla, ce dont je me souviens c'est la bonne blague du militaire surveillant l'entrée qui nous fait croire devant ses copains que le site est fermé. Il trouve ça très drôle. Le Red Fort est lourdement gardé, peut-être pour rassurer les quelques touristes, majoritairement indiens. A la cafétéria, une clientèle aisée de sikhs et de brahmanes, la caste supérieure des prêtres.

Le brouillard et de lourds vols de corbeaux sur les jardins du fort finissent par rendre l'ambiance carrément lugubre. Il nous faut un rickshaw pour aller à la gare, car il faut acheter les billets de train en avance, dans un bureau réservé aux touristes.





PEAK HOUR
Le premier rickshaw est un vélo, il veut 150 roupies. Nous traversons le boulevard à nos risques et périls, le deuxième est à moto il veut 80 et le troisième aussi est à moto mais il ne veut que 50. Il faudra presque 2 heures pour faire quelques kilomètres. Au cul à cul, klaxon à klaxon, tout ce qui peut bouger sur deux roues se presse, centimètre par centimètre, le jeu est de ne laisser passer personne sauf les plus malins. Le rickshaw finit par tomber en panne au milieu d'un carrefour. Nous l'aidons à pousser l'engin sur le bord de la route au pied d'une impressionnante rangée de pissotières bleu faïence. Je regarde le chauffeur désolé faire jaillir des étincelles à coups de molette sur ce que je suppose être le moteur, jusqu'à ce qu'un flic venu nous dégager nous explique que la gare se trouve à cinq minutes à pied. Comme on ne comprend rien à ses explications ni aux suivantes, une bonne demie heure sera nécessaire pour arriver à la gare, juste à temps pour entendre les fonctionnaires du Tourist Office nous dire que c'est fermé, même s'il reste 10 minutes avant l'heure de fermeture officielle.


Nous tentons donc les guichets indiens mais l'aventure tourne court. Impossible de comprendre l'anglais parlé avec l'accent indien. Faire la queue est déjà drôle, l'idée est de serrer le plus possible son voisin de devant, non par vice mais pour éviter qu'un autre se faufile. Curieusement personne ne réagit, ou très peu, devant les resquilleurs et seul l'agent derrière le guichet refuse d'en servir quelques-uns. Arrive un surveillant, et sa baguette plutôt épaisse laisse supposer qu'il s'en sert pour imposer la discipline. On verra souvent ces bâtons fins mais brutaux, sans doute un bon souvenir du stick colonial anglais. Le surveillant me fait bénéficier d'un passe-droit et je peux me lancer au guichet en doublant tout le monde.

Le préposé Indian Railways fait comme la plupart des indiens, le fait qu'il me regarde signifie à lui seul "parle". Si on ne dit rien il s'occupera de la personne à côté. Je finis par parler, manque de pot je ne comprends rien à la réponse, même en demandant de répéter. Je comprends tout de même que ce guichet n'est pas le bon. La foule, les regards hallucinés qui nous dévisagent, c'est trop, nous décidons d'abandonner et de revenir le lendemain au Tourist Office.

En face de la gare se trouve Pahar Ganj, le quartier des routards. Il faut d'abord traverser une zone de gargotes noires et graisseuses qui proposent poulet et poisson frits. Puis, le plaisir de se perdre dans de petites traverses où les jeunes friment en moto, un vendeur protège ses légumes contre la voracité d'une vache boiteuse. On débouche sur Main Bazar Road, qui est ce qu'elle dit, une grande rue commerçante. A l'Everest on me sert une bière dans une théière, un doigt sur les lèvres pour recommander la discrétion.






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