Lorsque nous consentons à quitter la douce Udaïpur sans même avoir honoré de nos euros les boutiques d'artisanat richement achalandées, c'est pour franchir 60 kilomètres en trois heures de bus, jusqu'à Ranakpur.
Un jeune homme qui nous vient en aide à la gare brise notre enthousiasme en nous annonçant que le temple de Ranakpur sera ouvert une heure au lieu de quatre aujourd'hui, pour cause d'éclipse solaire.
L'éclipse ne sera visible que depuis le sud de l'Inde mais toute offrande ou acte religieux sont interdits pendant ces heures de mauvais augure où il faut couvrir les idoles érigées à l'extérieur. Selon lui, priorité étant donnée aux hindous, nous ne serons pas autorisés à entrer dans le temple. Nous irons quand même.
Le jeune homme révèle qu'il est guide touristique, parle mieux anglais que moi et voyage contre mon épaule jusqu'à Ranakpur. Il n'est pas spécialement bavard mais nous parlons des conséquences du tourisme sur les moeurs : un Etat aurait légalisé l'adultère pour adapter le texte aux nouveaux comportements sociaux, influencés par ceux des étrangers.
Nous discutons aussi des castes, il y en a 4 : les prêtres, les guerriers, les bergers et les serviteurs, terme pudique pour désigner les intouchables. On les distingue aux couleurs : turbans, saris et même les bijoux sont strictement codés. Lui est de la caste des guerriers et du clan des rajpoutes.
Il ne porte les marques de son appartenance que pour les fêtes et les événements familiaux. Aujourd'hui il gagne sa croûte en attendant de pouvoir se marier avec une fille de son clan. Il oublie aussi de me rappeler que les castes sont officiellement abolies depuis longtemps, peut-être parce-qu'elles vivent toujours dans l'esprit de tous, déterminisme implacable sobrement accepté, même par les plus démunis.
Il n'y a rien à Ranakpur sinon le temple Jaïn doté de quelques dépendances pour héberger, nourrir et administrer prêtres et pélerins.
L'endroit est, je suppose, exceptionnellement calme pour cause de caprice lunaire et nous sommes seuls à profiter de la cantine du temple.
Un vieillard assis immobile sur un banc fait danser au rythme de ses hurlements brefs un ballet de plats et de coupelles. Trois hommes se succèdent devant nous au fur et à mesure que nous vidons nos thalis, des plateaux métalliques ronds et compartimentés.
Pickles de mangue acide, haricots et patates épicées en curry, du riz blanc et des puris, une galette de blé frite.
Nous sommes resservis jusqu'à plus faim, les serveurs sont contents de nous voir manger avec les doigts et sans rougir sur le piment.
Nous finissons d'attendre l'ouverture du site avec l'inévitable chaï dans la cafétéria voisine, observant nos voisins autant que nous sommes observés, chaque partie allant de ses commentaires accompagnés de grands sourires quand nos regards se croisent.
De très jeunes filles portent un point rouge sur le front et je me demande si cela signifie qu'elles sont mariées.
De très jeunes filles portent un point rouge sur le front et je me demande si cela signifie qu'elles sont mariées.
Selon les endroits, nous attirons un peu, beaucoup ou énormément les regards.
Rarissime en revanche de passer inaperçus. A Delhi c'est plutôt moi qu'on regarde, surtout les jeunes qui font des gueules de débiles en me voyant, les yeux ronds comme des comiques de dessin animé. Un profite même de la cohue dans la gare pour tenter une main au sein. Ailleurs, c'est plutôt Guillaume, avec une insistance telle qu'il en profite parfois pour faire le malin. Effet garanti, ça ne leur donne pas vraiment envie de regarder ailleurs mais la qualité du regard a changé.
Le temple ouvre enfin ses portes, entrent quelques fidèles et beaucoup de touristes, je comprends mieux pourquoi certains temples sont interdits aux non hindouistes.
Des guides traînent les groupes, nous y grappillons quelques infos pas toujours très cohérentes. Reste que le temple a été fondée par Adinath pour célébrer la religion jaïniste qui prône, un bon millier d'années avant Buddha, le respect de toute forme vivante. Les religieux sont en jaune et portent une marque de la même couleur sur le front, un mélange de safran et de santal.
Comme le temple n'ouvre qu'une heure, peu de pèlerins ont fait le déplacement et même les prêtres qui ont la réputation d'être habiles à faire cracher les offrandes aux touristes nous laissent toute liberté de flâner au coeur des 440 piliers.
Ils sont de marbre, la pierre régionale on l'aura compris, et les colonnades hautes de plusieurs mètres sont entièrement sculptées de motifs répétitifs. Autour, une enfilade de niches sombres où sourient des centaines de statues qui nous paraissent similaires mais ne le sont pas. Au centre, quatre statues de l'être éveillé, même allure et presque même position que Buddha, que je commence à soupçonner fortement de plagiat.
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