20110517

6. NORD, VERS PUSHKAR



 

SOUS LA VACHE
Nous nous rendons à Pushkar pour sa réputation de calme, libre de toute circulation motorisée.

Pour le plaisir de l'aventure, nous décidons d'éviter les grandes villes en prenant des bus locaux, jamais nettoyés depuis leur première mise en service, il y a soixante ans. 
Les fenêtres s'ouvrent toutes seules et nous grelottons de froid tout le trajet, préférant rester au fond plutôt que de voir comment le chauffeur conduit de nuit.


Après maints changements et presque 12 heures de bus qui brinquebale, rue et cabre sur les ornières, autant dire que nous sommes les seuls touristes à atteindre enfin Ajmer à 2h30 du matin, d'où nous pourrons rallier Pushkar.


Un jeune rickshaw arrive à nous convaincre qu'il peut nous déposer à Pushkar, après avoir juré plusieurs fois que les hôtels sont ouverts "24 hours!".
Il appelle même la guest house qu'on nous a recommandée, fait signe que tout est ok puis démarre. 
Claquant des dents à l'arrière du rickshaw ouvert à la morsure des vents d'hiver, nous sommes quand même rassurés par la perspective d'un lit chaud. Après 20 minutes de grimpette où le moteur rend presque l'âme, le chauffeur s'arrête devant un hôtel et nous explique que c'est le seul ouvert (il a l'air plutôt fermé) et que le nôtre est fermé pour la nuit. 
On veut pas aller dans son hôtel ! Il nous supplie presque, puis nous explique qu'il ne peut entrer dans la ville, interdite aux véhicules non résidents, ce qui a l'air vrai. Il fait mine de rappeler notre hôtel, nous dit que le patron dort mais nous explique quand même comment y aller : tout droit, à un moment c'est à droite.

Nous voilà donc partis, complètement groggys, arpentant la rue principale à 3 heures du matin. Quelques dormeurs sous des tas de couvertures, un chat bruyant, beaucoup de chiens et de vaches. Mais pas un passant ni un hôtel qui clignote, rien.
Tout est fermé, les braves gens dorment sur leurs deux oreilles. Nous frappons même à un joli hôtel chic vaguement éclairé mais hormis le chien de garde personne ne nous entend.

Nous finissons par nous installer devant une boutique, sur une planche de bois. Ce sont quatre vaches allongées là qui nous indiquent l'endroit, leur masse nous réconforte. On se bricole un matelas de carton, imbriqués sur l'étroite paillasse en entassant sur nous tous nos habits. 

Une des vaches, découvrant ce délicieux carton sous son museau décide de se faire un en-cas, une autre se lève racler les sacs plastiques. Des chiens hurlent comme des putois à la poursuite d'un ennemi invisible, peut-être le matou couillu qui fait trembler les toits.

Au premier passage les chiens ne nous captent même pas tellement nous sommes bien cachés derrière les interminables pets bovins et l'odeur de leur bouse rendue chiasseuse à force de régime pétrochimique. 
Au deuxième passage nous sommes repérés, le premier chien s'approche de ma tête en grognant doucement, je ne bouge pas et tente de contrôler ma peur. Le deuxième s'approche et attrape mon genou entre ses crocs, mais sans serrer. Peut-être qu'il vérifie si nous sommes vivants et donc non comestibles immédiatement. 
Je me relève doucement pour ne plus avoir le visage à portée de leurs mâchoires et les deux zouaves remuent la queue puis se postent au milieu du petit carrefour, nous tenant compagnie quelques instants avant de repartir faire régner leur loi. Nous voilà adoubés par les chiens, dont les nombreuses meutes s'emparent de la ville dès la nuit tombée et s'amusent à terroriser les touristes. 

 Guillaume parvient à s'endormir un peu, je crève de froid et attends avec impatience les premiers bruits du jour. Heureusement la ferveur est matinale, elle guingrenaille dès 6 heures ; cloches aigrelettes, frottements du balai, claques d'eau contre le sol annoncent le retour de l'homme.

Nous abandonnons nos vaches protectrices pour nous réchauffer en marchant, espérant croiser très vite un marchand de chaï.


En attendant l'aube nous profitons d'une vue nocturne sur le lac sacré de Pushkar. De jour, l'endroit est plus compliqué à pratiquer, envahi par de pseudos prêtres rois de l'arnaque. 




 SHIVA
 Pushkar étant une ville sacrée, la caste dominante est donc logiquement celle des brahmanes et nous ne tardons pas à en croiser un spécimen : Shiva. 
Comme tous les êtres parlants que nous avons rencontrés depuis notre arrivée à Pushkar, il nous propose d'abord une super guest house pas chère et rajoute "Do you smoke?". Là, je réponds oui. Il nous amène dans une cahute de pierre sur le bord du lac, sa "demeure". Shiva a une pêche d'enfer, il débite un tas de conneries rigolotes à toute vitesse, dans un bon anglais émaillé de français moitié canaille, tout en préparant une pipe de haschich. Guillaume met les choses au clair en lui demandant s'il veut des sous pour partager cette pipe, l'autre se récrie bien sûr que non, entre nous rien de tout ça, nous sommes amis et l'amitié se fout de l'argent etc.

Il nous raconte qu'il cherche de vrais amis pour investir dans un restaurant qu'il gérerait. Il me demande de me couvrir la tête, joue au gourou et nous promet beaucoup de bonheur dans notre couple. Il est un peu délirant avec ses litanies de mots absurdes, litanies qu'on entendra ensuite plusieurs fois chez les jeunes gens habitués à traficoter avec les touristes "power shower money honey" et j'ai oublié la suite. Son bagout nous fait rire et nous le trouvons plutôt sincère dans son rôle. 

 
Rien de tel qu'un petit shilom après une nuit blanche, j'oublie presque mon sac à dos et Shiva insiste particulièrement pour que je n'oublie rien, comme pour bien montrer son intégrité. Guillaume lui fait de la magie et Shiva tout fou lui offre une bénédiction personnalisée. Nous voulons partir et il nous explique alors qu'il est vraiment fauché en ce moment, si on pouvait le dépanner, ce qu'on veut. Je pose 20 roupies sur le sol (on est assis par terre, comme toujours en Inde sauf dans les restos pour touristes), ça le vexe, il veut ensuite que je le photographie et emprunte les lunettes de soleil de Guillaume en prenant des poses de star hip hop. 

Nous acquiesçons à ses dernières recommandations : pour faire notre pudja, un rite de purification avec des roses et l'eau du lac sacré, c'est à lui uniquement qu'il faut demander et nous serons libres de donner ce qu'on veut, 200, 300, 1000, 2000...
Visiblement pas satisfait des 20 roupies, il nous demande un petit souvenir de France pour ses enfants mais nous n'avons que des trucs achetés en Inde. Il reconnaît alors que c'est pas grave, il accepterait n'importe quel objet qui lui rappelle notre présence. 
Je ne me vois pas lui filer un briquet alors on se quitte, il nous rappelle de mettre un mot sur lui dans le guide du routard, ainsi que sa photo.

FULL POWER
24 HOURS
NO WATER
NO SHOWER

NO HURRY
NO WORRY
NO CHICKEN CURRY

NO WIFE
NO LIFE
NO WOMAN
NO CRY

WHAT TO DO
GO KATMANDU
PLAY DIDJERIDOO
BE GANDHU (=homo)



 LE LAC SACRE EST A SEC
Pushkar s'enroule autour du lac sacré dont on ne peut s'approcher chaussé. Mais le lac étouffé par le sable est presque à sec malgré de pharaoniques et interminables travaux de drainage à l'aide d'un canal. Ses abords sont régis par des règles strictes : sur une distance de 40 pieds à partir de la berge, chaussures, cuir, aliments et appareils photos sont interdits.

Pushkar est une ville strictement végétarienne, même pas un oeuf et bien sûr pas d'alcool. Plus de 400 temples dans la petite ville, parmi eux l'unique temple en Inde qui célèbre le culte de Brahma, le dieu créateur.
Une version (chaque hindou ayant la sienne) dont j'apprécie le cynisme dit que Brahma, n'ayant aucun pouvoir à part celui de noter naissances et décès, n'est en conséquence honoré par personne.

Pourtant dans son temple les fidèles se pressent, serrant dans leurs mains fleurs et petites boules de sucre blanc qui rendent les singes fous de diabète. Les offrandes sont déposées aux pieds de Brahma, après avoir fait retentir la cloche au-dessus du porche. Les touristes dévots font ensuite le tour des ex-votos offerts par de riches donateurs et nous nous asseyons observer leur ferveur.

L'avenue centrale coule depuis l'escalier du Brahma Temple. D'abord des boutiques de souvenirs pour pélerins indiens, puis très vite une foison de tissus et d'habits richement ornés, toute la richesse du Rajhastan qui parade sous nos yeux : excentriques patchworks, tentures naïvement ornées, d'hallucinantes broderies du Gujarat inaccessibles mais dont nous admirons bouche bée les infinies spirales de fils d'or et d'argent.

Des encens, de nombreuses essences florales, dont la rose locale  est l'héroïne. 
Une quantité astronomique de vêtements dont on reconnaît les coupes pour les avoir vues inonder marchés et boutiques world nomades en Europe depuis près de 40 ans, date du début de l'invasion baba cool à Pushkar. 
Car le "business" paraît occuper plus d'un touriste sur deux, particulièrement dans cette ville où pas mal d'occidentaux se sont installés. Acheter habits et artisanats à prix indien, se les faire envoyer en Europe pour revendre le tout. Autre indice, quand je demande le prix d'un vêtement, on me demande systématiquement combien d'exemplaires j'en veux.

Beaucoup viennent commander en gros, soit en faisant fabriquer leurs propres modèles par les ateliers locaux soit en choisissant les modèles déjà existants, et il y a du choix. 
Nous avions vu à Udaïpur beaucoup de tailleurs proposant de copier le vêtement du client mais ici c'est une véritable industrie qui se laisse entrevoir. 
Cela nous sera confirmé par Jean-Marc, un québécois chez qui nous passerons deux jours, et qui nous parle d'amies venues commander 16.000 pantalons! 


A l'hôtel Paramount on se love sur un minuscule balcon rose qui regarde ce qui fut un somptueux haveli, rongé par le temps. 
Nous irons y admirer de belles fresques religieuses et un brahmane habitant les lieux nous explique patiemment ce qui me semble incompréhensible. 
Chaque dieu a une multitude de noms, de formes et de femmes selon ses avatars.





 LE BUNGALOW DU MARTIN PÊCHEUR
La guest house de Jean-Marc est un havre de paix à 10 minutes du centre, déjà cerné d'immeubles en construction.
Deux vaches pour le lait, des chiens là encore attachés, des perruches, trois chevaux Mewari, un flamboyant martin pêcheur solitaire qui occupe un des gros arbres et une multitude d'oiseaux sauvages, écureuils, papiotant et titillant entre arbres et buissons soigneusement entretenus. 
Jean-Marc vit depuis 14 ans dans cette ferme, depuis 32 ans en Inde. D'abord dans le business du vêtement, puis saisonnier sur les plages touristiques de Goa.

Nous ne saurons pas ce qui le décide à se marier avec une indienne du Sud qu'il déménage à Pushkar pour y élever leurs deux filles. Sa femme Padma ne parle pas très bien anglais mais nous raconte sa région d'origine, qui lui manque beaucoup.
Evidemment je lui demande pourquoi elle n'y retourne pas plus souvent. "Trop de travail, dit-elle, il faut s'occuper des animaux. Tous les matins je dois préparer cinq kilos de chapatis, dont 3 seulement pour les chiens!"

En effet les bergers allemands de Jean-Marc suivent le régime général et sont donc végétariens, à la diète de pain et de lait. Seuls les horribles pékinois ne survivraient pas sans protéines et mangent donc des oeufs, interdits à Pushkar. 
Ce qui nous donne droit à des omelettes au petit déj ou à d'extras pancakes miel-banane. Nous nous sentons bien chez Jean-Marc, je me casse les reins pendant deux heures sur un de ses canassons, le seul louable au client.

La balade me permet cependant de repérer les champs de fleurs, de choux et de blé qui courent jusque sous le mont. Nous irons ensuite nous promener, épiant les femmes aux couleurs voyantes penchées sur les lignes de rosiers.




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