LE TRAIN
De retour au Tourist Office pour nos billets de train. Une pancarte annonce :
"Ici, nous vous servons avec le sourire"
La face impassiblement ronchonne du guichetier à blouse blanche prête effectivement à rire. Aucun problème pour le billet, il y a quelques heures à tuer avant le départ. Je m'achète un ensemble Punjabi, une tunique, un pantalon et un foulard assortis, dans le vain espoir d'échapper aux regards exorbités des hommes qui ont le temps de repérer en moi l'européenne.
A 16h, le train est à quai, portes fermées.
16h20, il ne se passe rien. Je commence à paniquer mais impossible de trouver sur le quai une personne capable de nous renseigner.
16h35, heure supposée du départ, le train part effectivement mais à vide. Deux indiens visiblement riches et hautement éduqués ont pitié de nous et viennent nous expliquer que le train partira à 21h20, pour cause de brouillard.
Très bien. Plus que cinq heures à attendre. La gare de New Delhi correspond à un bon lavage de cerveau, mais c'est pire à l'extérieur et je n'en ai pas la force.
Très bien. Plus que cinq heures à attendre. La gare de New Delhi correspond à un bon lavage de cerveau, mais c'est pire à l'extérieur et je n'en ai pas la force.
Le train part finalement vers 23h. L'arrivée à Kota est prévue à 2 heures du matin. Décision est prise de profiter du service ultra luxe du Mumbaï Rajhastani Express et, bien que sortant de table, nous dévorons avec voracité le repas offert, thés et glaces.
Le compartiment est composé de quatre couchettes et s'ouvre sur le couloir.
Notre voisin d'en face s'appelle Partah, il est très gros, parle un américain parfait et a décidé de nous faire la conversation. Celui de la couchette supérieure ne décrochera pas un mot du voyage.
De l'autre côté du couloir c'est un jeune de Calcutta qui travaille dans les vêtements pour enfants, aime la marque Catimini ainsi que le métal puisqu'il en a partout : bagues aux dents, montre dorée au poignet, une lourde chevalière en or ainsi qu'un beau diamant à l'annulaire. Il se marie l'année prochaine et veut amener sa femme à Paris. Nous lui glissons quelques adresses d'un air sûr mais Partah ne le laisse pas en placer une.
Notre voisin d'en face s'appelle Partah, il est très gros, parle un américain parfait et a décidé de nous faire la conversation. Celui de la couchette supérieure ne décrochera pas un mot du voyage.
De l'autre côté du couloir c'est un jeune de Calcutta qui travaille dans les vêtements pour enfants, aime la marque Catimini ainsi que le métal puisqu'il en a partout : bagues aux dents, montre dorée au poignet, une lourde chevalière en or ainsi qu'un beau diamant à l'annulaire. Il se marie l'année prochaine et veut amener sa femme à Paris. Nous lui glissons quelques adresses d'un air sûr mais Partah ne le laisse pas en placer une.
Sa conversation, qui m'apparaît au prime abord plutôt convenue, s'avère finalement piquante et nous ne cessons de tchatcher que pour dormir quelques heures.
Ah oui, car le train arrivera en gare de Kota avec 9 heures de retard, ralenti par le brouillard. Moi je pionce tandis que Guillaume est aux aguets toute la nuit, sursautant chaque fois que le train fait mine de s'arrêter.
Ah oui, car le train arrivera en gare de Kota avec 9 heures de retard, ralenti par le brouillard. Moi je pionce tandis que Guillaume est aux aguets toute la nuit, sursautant chaque fois que le train fait mine de s'arrêter.
Nous tentons même de descendre à une gare mais devant la porte que nous réussissons enfin à ouvrir, il n'y a pas de quai. Fausse alerte. Nous sommes les seuls agités dans le wagon première classe qui ronfle sur sa digestion.
A Kota nous échappons au taxi-harcèlement grâce aux bons conseils du vendeur de journaux qui nous indique le bus à prendre pour la gare routière. Tout s'enchaîne presque facilement et les 30 kilomètres jusqu'à Bundi se parcourent en un peu moins d'une heure.
Une campagne se dévoile, du riz, du blé, des briqueteries, du brouillard...Le Rajhastan, comme tout le nord de l'Inde, subit une forte vague de froid.
A ce propos, Partah nous a désillusionné sur le fog de Delhi : c'est bien de la pollution. Le froid et l'absence de pluie obligent cette mer poussiéreuse à stagner sous le ciel bas.
A ce propos, Partah nous a désillusionné sur le fog de Delhi : c'est bien de la pollution. Le froid et l'absence de pluie obligent cette mer poussiéreuse à stagner sous le ciel bas.
Dust.
BUNDI, LE SINGE ET LE MAHARADJAH
Nous arrivons à Bundi le lendemain de la mort du dernier descendant mâle direct de la lignée des maharadjahs.
Sans enfants, c'est son neveu, également maharadjah d'une localité voisine, qui lui succède. A Bundi, l'espoir prédit qu'il viendra s'installer dans la ville, contrairement au défunt oncle enraciné à Delhi, et que ce nouveau roi sans sceptre s'occupera de rénover le palais abandonné qui menace ruine.
De l'édifice royal coulent deux murailles comme des tresses le long des collines, clouées à chaque cime par une élégante vigie coiffée d'un dôme.
Les fragiles fantaisies de pierre des balcons et des coupoles sont un bel avant-goût de la magnificence architecturale de l'Inde classique. Y règnent désormais en maîtres singes, pigeons et chauves-souris.
"Il y a ceux à face noire comme moi et ceux à face blanche comme vous. Les blancs sont les plus méchants".
Montu, notre logeur, parle des singes qui chapardent tout ce qui traîne, comestible ou pas. Ils ont envahi la ville, une forêt de toits terrasses où nul n'est à l'abri des regards. Chiens et vaches sont là aussi, accompagnés de quelques chèvres et de grappes de cochons mi-sauvages. Tous se chargent du triage des poubelles et les vaches ruminent, immobiles au milieu des rues, un sac plastique dépassant de leurs museaux lippus.
Montu, notre logeur, parle des singes qui chapardent tout ce qui traîne, comestible ou pas. Ils ont envahi la ville, une forêt de toits terrasses où nul n'est à l'abri des regards. Chiens et vaches sont là aussi, accompagnés de quelques chèvres et de grappes de cochons mi-sauvages. Tous se chargent du triage des poubelles et les vaches ruminent, immobiles au milieu des rues, un sac plastique dépassant de leurs museaux lippus.
Au-dessus du palais volent de petits points colorés, hauts dans le ciel ou pirouettant au ras des terrasses. Adultes et enfants pratiquent leur loisir favori, faire courir le cerf-volant vers le soleil, à s'en déchirer les doigts. Le cisaillement du fil lorsqu'il est tendu par le vent permet aussi de couper le lien du cerf-volant voisin. Je tente ma chance mais sans grand résultat jusqu'à ce qu'un gamin haut comme trois pommes envoie avec maestria ma monture vers le ciel avant de me rendre le fil.
Les cerfs-volants vendus dans les nombreuses échoppes sont souvent de facture très simple mais présentent le grand avantage de pouvoir être décollés depuis le sol, sans aucun élan mais non sans un certain coup de poignet. Les terrasses deviennent alors une base de lancement idéale et tous se préparent pour le proche 14 janvier, jour de fête pour les losanges de papier qui espèrent la morsure assassine du concurrent, enfin libres.
"MY SISTERS !"
Errant dans les rues de Bundi, des chemins de traverse de plus en plus étroits finissent sur une ruelle à merde. Demi-tour, une femme sur le seuil sombre de sa maison appelle précipitamment son fils. Il n'a pas 20 ans et parle un peu anglais "Five minutes! I want to show you something!"
Nous hésitons puis l'accompagnons sur la terrasse avec sa petite soeur. Il ouvre une porte et nous fait rentrer dans sa chambre, court pour ouvrir les volets, tire un tapis de plastique qu'il étend sur le sol.
Il a un regard étrange, tout empressé qu'il est. Nous le remercions et commençons à partir mais il veut nous retenir, promet du chaï, nous poursuit dans les escaliers avec un album photo précieusement déballé d'un tissu en criant "my sisters! my sisters!"
Il a un regard étrange, tout empressé qu'il est. Nous le remercions et commençons à partir mais il veut nous retenir, promet du chaï, nous poursuit dans les escaliers avec un album photo précieusement déballé d'un tissu en criant "my sisters! my sisters!"
On ne saura jamais ce qu'il voulait. Probablement partager un peu de sa vie avec nous, sans doute tenter de trouver quelque chose à nous vendre, même de l'affection. Peut-être sa famille a-t-elle eu vent de l'histoire d'une jeune fille à qui un canadien de passage a envoyé 30.000 roupies? Mais nous ne sommes que d'humbles touristes.
"SATHI"
Ouais ben Sathi il vend pas que du lassi. Son chichon est pourri mais son gâteau de l'espace est très réussi.
MONTU
A Bundi nous louons une belle chambre pavée de marbre, aux peintures murales naïves représentant Krishna et Parvati tendrement enlacés. Nous décorons une niche avec des roses et du jasmin, quelques fruits, des bougies.
Cela étonne beaucoup Montu qui nous demande si nous nous déchaussons pour prier et si nous croyons en Dieu. Il nous explique brièvement ses rituels : le matin, après s'être soigneusement lavé et habillé de propre mais avant d'aller aux toilettes, il faut prier, pieds nus. Le soir, après s'être lavé à nouveau, faire brûler de l'encens.
Cela étonne beaucoup Montu qui nous demande si nous nous déchaussons pour prier et si nous croyons en Dieu. Il nous explique brièvement ses rituels : le matin, après s'être soigneusement lavé et habillé de propre mais avant d'aller aux toilettes, il faut prier, pieds nus. Le soir, après s'être lavé à nouveau, faire brûler de l'encens.
Montu gère avec diligence la guest house ouverte par ses parents dans le domicile familial. D'humeur toujours gaie, en tout cas en anglais, il rassasie les hôtes d'informations et de bonne nourriture, rend mille services et flirte gentiment avec les filles. Les brahmanes ne pouvant consommer que la nourriture préparée par d'autres brahmanes, tous se mettent à la cuisine, hommes compris, et Montu se débrouille plutôt bien. Ils sont strictement végétariens et donc nous aussi.
La mère de Montu vient nous raconter des histoires tristes, nous parler de sa fille Pinkie qui a appris le français grâce à la générosité d'un hôte de passage.
Venu lui offrir un appareil numérique pour Noël, le mécène s'est éteint quelques jours après dans une chambre de la guest house, victime d'une crise cardiaque à 80 ans.
Pinkie étudie maintenant le commerce à Udaïpur, renforçant ainsi l'image que l'on se fait peu à peu des jeunes filles modernes en Inde : vives, indépendantes, éduquées.
Venu lui offrir un appareil numérique pour Noël, le mécène s'est éteint quelques jours après dans une chambre de la guest house, victime d'une crise cardiaque à 80 ans.
Pinkie étudie maintenant le commerce à Udaïpur, renforçant ainsi l'image que l'on se fait peu à peu des jeunes filles modernes en Inde : vives, indépendantes, éduquées.
Elles ont été longtemps la mauvaise nouvelle des couples : avoir une fille signifie devoir l'élever pour la voir partir dans la famille de son mari, s'endetter pour réunir la dot et le moindre faux pas, ou supposé comme tel, à la stricte étiquette de la bienséance ruine irrémédiablement tout espoir de mariage honnête.
Des rumeurs parlent de fillettes enterrées vives dans les campagnes. La généralisation de l'échographie a fait exploser le nombre d'avortements, illégaux. Aujourd'hui il est interdit d'annoncer le sexe de l'enfant avant cinq mois de grossesse et l'avortement est sévèrement puni.
Presque paradoxalement, le fait qu'il y aurait maintenant moins de filles que de garçons contribuerait à une amélioration de leur statut. On notera quand même un net soulagement chez chaque père annonçant qu'il a un fils.
Presque paradoxalement, le fait qu'il y aurait maintenant moins de filles que de garçons contribuerait à une amélioration de leur statut. On notera quand même un net soulagement chez chaque père annonçant qu'il a un fils.
Le père de Montu a 70 ans et ne sort de la maison que pour s'asseoir sur le seuil et abreuver les passants de commentaires.
L'essentiel de sa journée s'enracine sur la terrasse, profitant du soleil d'hiver qui ne parvient pas à pénétrer dans la maison glacée.
Trois générations le précédant ont servi la famille royale de Bundi : médecins du roi et de son entourage, ils ont subi les conséquences de l'Indépendance du pays, avec l'abolition des privilèges des maharadjahs. Il est très affligé par la récente disparition du dernier maharadjah de cette lignée.
L'essentiel de sa journée s'enracine sur la terrasse, profitant du soleil d'hiver qui ne parvient pas à pénétrer dans la maison glacée.
Trois générations le précédant ont servi la famille royale de Bundi : médecins du roi et de son entourage, ils ont subi les conséquences de l'Indépendance du pays, avec l'abolition des privilèges des maharadjahs. Il est très affligé par la récente disparition du dernier maharadjah de cette lignée.
Je crois lire une lassitude chargée de nostalgie sur son corps long, maigre et perclus, témoin de l'inexorable disparition des fastes anciens, de l'extinction de ces nobliaux locaux adorés comme des dieux dans leurs royaumes.
Nous apprendrons plus tard que le défunt maharadjah était un poivrot qui a dépensé sa fortune à Delhi, dédaignant Bundi et son palais en miettes.
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