20110518

7. VERS L'EST, VARANASI



 
"IT'S A VERY STINKY, DIRTY TOWN : LOT OF CULTURE"
Partah nous avait prévenu, Vanarasi-Bénarès ressemble à un coup de foudre. L'essentiel de l'activité des quartiers sinueux de la vieille ville qui longe le Gange et dont le centre nerveux serait le ghât des crématoires est consacré à la religion.

Des dizaines de temples émaillent la cité, temples que l'on repère souvent à la longue file d'hommes pieds nus attendant d'être fouillés, anti-terrorisme oblige.

La quasi absence d'engins motorisés qui ne peuvent circuler dans ces ruelles si étroites qu'on en rase parfois les murs permet de discerner enfin le puzzle sonore qui fleurit à chaque angle.
Cris des vendeurs de rue, multitudes de clochettes, prières de femmes chantées en un étrange choeur géorgien, musiques religieuses s'échappant de minuscules temples, quelques sonos à fond.

A peine posés les sacs à dos nous nous lançons à pas perdus dans le dédale. La nuit tombe alors et nous sommes éblouis par les rivières de bracelets dorés, de saris bordés d'argent, par le rouge et le safran des guirlandes de fleurs, des encens, des bocaux remplis de pickles ou de sucreries multicolores qui miroitent, alignés sur leurs étagères.
Nous nous laissons tenter par tout, eklé à la farine de riz, confiseries bourrées de pistaches et de sucre, halva de cacahuètes, double dose de sweet paan. 



Nous tombons par hasard sur ManiKarnika Ghât, le principal lieu de crémation.
Il eut suffi de suivre les cortèges qui brisent régulièrement de leur petit trot la nonchalance des promeneurs. Il faut alors se garer sur le côté pour laisser passer une civière de bambou sur laquelle le corps est enveloppé d'une soie dont la couleur indique le sexe et le statut du défunt.

Le premier porteur scande un phrase courte "Haré Hé" à laquelle répondent les quelques hommes qui suivent eux aussi en courant. Certains ont l'air très peu concernés et je suppose que celui venu mourir seul à Varanasi aura laissé quelque argent pour payer un cortège professionnel, dans le cas fréquent où les membres de sa famille ne peuvent s'offrir le voyage jusqu'à la ville sainte.

Les bûchers sont alignés sur quatre niveaux, correspondant aux quatre castes. 
Au début nous avons du mal à croire qu'il s'agit là de crémations mais en s'approchant on peut distinguer quelques membres noircis qui se confondent avec les tortuosités des branches consumées.
Des hommes uniquement sont là, regardant les flammes dévorer les corps. On ne décèle aucune émotion particulière, je vois seulement un homme essuyer furtivement ses larmes.
Il n'y a là rien de très effrayant, rien de plus que l'odeur réconfortante du feu de bois et la troublante évidence que nous ne sommes animés que d'un souffle.

Une dizaine de feux brûlent simultanément et les crémations se succèdent jour et nuit. Mourir à Varanasi est l'espoir de beaucoup d'hindous, on y vient pour rompre le cycle des réincarnations et atteindre le moksha, la libération du corps et de l'esprit.
Les femmes enceintes et les bébés, considérés comme purs, ne nécessitent pas de crémation et leurs cadavres sont glissés sur le lit du Gange.


Alors que j'observe les habituels chiens tournoyer dans les charniers fumants, je détecte une chaleur dans mon dos puis à mon oreille un grésillement, suivi d'une odeur de chair cramée.
Je me retourne, c'est un des intouchables dont le clan est dédié à la lourde tâche d'alimenter les bûchers. Il me frôle, une lueur malicieuse dans le regard, portant un morceau humain noirci qui crachote entre deux morceaux de bois.

Le bois coûte cher, les crémations sont donc souvent écourtées et les restes non consumés livrés à l'eau du fleuve tout près, qui lèche patiemment les franges des cercles ardents.
Notre présence ne semble déranger personne. 
La bonhomie des Varanasiens jusque-là rencontrés est sidérante, gentillesse et bonne humeur, tous heureux d'aider les visiteurs à retrouver leur chemin dans le labyrinthe inextricable où nous logeons.



GOLDEN TEMPLE
Niché au coeur de la vieille ville, il est le plus recherché des lieux de pélerinage, interdit aux non hindous et, comme son nom l'indique, recouvert d'or.

Comme pour tout, ou presque, ce qui est interdit, il est possible d'entrer dans le Golden Temple.
Nous sommes vites démarchés par un petit groupe et contre un bon bifton nous obéissons à leurs consignes :

Laisser nos chaussures à garder dans l'un des minuscules vestiaires serrés en face de l'entrée du temple, moyennant payement

Acheter dans ledit vestiaire (le leur) les offrandes nécessaires : sucreries, copeaux de santal, une petite tasse de terre cuite emplie de lait de coco, un collier de fleurs, encore des fleurs. La négociation commence devant les sourcils froncés des bonshommes.

Les suivre pieds nus dans la rue jusqu'au premier contrôle militaire, puis attendre à l'entrée du temple sous des arcades que d'autres militaires nous interrogent sur nos motivations. Suivant les recommandations de nos guides, nous répondons à quelques questions et déclarons être de religion hindoue, signons ladite déclaration avant de pouvoir pénétrer dans le saint des saints, happés par la bousculade.

Les deux guides ne nous lâchent pas d'une semelle, ils veulent que l'on fasse le tour le plus vite possible en nous commandant d'aller par ici, attendre là...

Nous nous laissons faire jusqu'au passage obligé du Golden Temple : dans un minuscule carré de cour fermé par 4 murs, un creux avec de l'eau blanchâtre dans lequel on jette le contenu de notre petite tasse, trempons les doigts pour s'en  toucher le front. La queue de pélerins est immense aussi sommes-nous pressés de tous côtés. 
Un prêtre nous bénit avec de l'eau et une poudre blanche, nous réclamant aussitôt une coquette somme qui nous fait sursauter. Les regards désapprobateurs des religieux et de nos accompagnateurs nous convainquent de mettre la main au porte-monnaie. Nous évitons ensuite les autres sollicitations des nombreux prêtres qui promettent bénédictions et gris gris.

Nous réussissons à nous libérer de nos surveillants en adoptant la position de méditation, sur le trottoir d'une arcade. Décontenancés, ils s'éloignent sans toutefois nous abandonner du regard et même un militaire renonce à nous faire déguerpir en nous voyant loucher sur le sol pavé, les jambes en lotus.

Quelques minutes pour nous plonger entiers dans l'immense brouhaha qui se perd sous la rumeur voisine de la ville.

L'air est saturé d'encens, douceâtre du sucre coloré qui fond dans les éclaboussures ; les bronzes, rouges, oranges vifs des fleurs et des poudres rituelles éclatent en tous sens.

Le Golden Temple est un espace confiné où trottinent sans interruption des cohortes d'intense dévotion, zigzagant entre les stèles, les idoles et les niches jetées là comme au hasard, dans un temps millénaire.


A la sortie les gonzes essaient encore de nous extorquer un super extra pour récupérer nos chaussures, je me souviens avoir accepté une contribution supplémentaire mais bien en deçà de leurs demandes.
Ils jouent les scandalisés mais je les soupçonne, tout en portant la honte du doute, de nous jouer le grand cinémascope. Très forts.



BAGUENAUDANT
La journée se finit comme toutes celles ou presque que nous aurons passées à Varanasi : gambader en se perdant.


Peu à peu des sentes se dessinent, pointées de repères stratégiques comme le coin d'une rue où quelques sacs empilés font office de bureau à deux bidasses en béret rouge, une échoppe où un homme tout rond fait cuire des dosas, crêpes de riz fourrées légèrement acides. 

Nous arpentons les ghâts en long et en large, d'où surgissent à toute heure et de nulle part des silhouettes échevelées qui appellent "Boat ! Boat, sir ?" dans l'espoir de nous amener en balade sur le Gange crevé dans la brume.


Comme à Pushkar, nous acquérons des marchandises exotiques : pagnes en cotons, colliers de graines, lampes à huile, stickers de divinités, assortiment d'épices anisées plongé dans un bain d'argent qui crisse sous les dents, une noix de bétel creusée en petite boîte au chapeau pointu, paquets de papadum, une galette extra fine de lentilles qu'on mange craquante.


Je passe aussi une petite heure assise sur d'immenses matelas qui couvrent tout le sol,  devant moi deux hommes barbus et bienveillants font rouler des étagères de la soie tissée main, me chamarrant de magentas bleutés, de serpentines moirées.

Dehors, dérapant sur les bouses, la bouche pleine de tout ce qu'on ne connaît pas et que nous voulons goûter, nous déambulons sans relâche, badauds ébaudis devant les cortèges de Purdah locale :

Un ou plusieurs camions à hayons défilent à vitesse minimale, les uns portant sur leurs dos des statues divines faites de paille et d'argile soigneusement peintes, habillées, éclairées ; les autres charrient des orchestres sonorisés à en déchirer les tympans.

Deux files de porteurs suivent les véhicules au pas, chacun portant un des luminaires reliés entre eux par des fils électriques qui remontent jusqu'au générateur électrique, placé soit à côté de l'orchestre en guise de basse fuel, soit sur un autre camion à l'arrière.

S'il n'y a pas d'orchestre, il faut encaisser la sono hurlante, pourquoi bon sang cette fascination pour la saturation complète ?

Devant et derrière de petits groupes de jeunes gens, uniquement des garçons, qui n'ont pas l'air dans leur état normal et dansent comme des robots fous, torses nus et la tête dans l'ampli qui balance de la variété religieuse hindoue (si, si!), parfois technoïsante.

Dans la vidéo ci-dessous, Saraswati, la déesse de la connaissance et des arts. Bande son originale.


Les cortèges se trimballent péniblement dans la ville, ajoutant encore aux remous des cortèges funèbres, des vaches paniquées piquant soudain des cornes vers les passants, des innombrables rickshaws vélos qui peinent sous leur fardeau.




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